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L’article 88 de la loi 87-588 permet aux bénéficiaires d’entrer dans les lieux ouverts au public et les transports accompagnés de leur chien d’assistance. Mathilde et son chien Lol se sont pourtant vus refuser l’accès à un commerce castrais au mois d’août dernier. La vidéo de l’altercation, publiée sur les réseaux sociaux, a beaucoup fait réagir. Mais pour nos bénéficiaires, cette réalité est quotidienne!
HANDI’CHIENS : Mathilde, lorsque vous publiez la vidéo de votre échange houleux avec un commerçant castrais, votre démarche à ce moment-là est de démontrer ce que vous vivez au quotidien…
Mathilde NOURY : Oui, totalement.
H. C. : Quand un commerçant vous refuse l’entrée dans son établissement, quel motif revient le plus régulièrement ?
M. N. : Le plus souvent, les chiens sont interdits dans les commerces alimentaires pour une question d’hygiène. Dans les autres lieux, c’est pour éviter le contact avec des gens qui seraient allergiques.
H. C. : Sur votre vidéo, on constate que les policiers n’interviennent pas. Sont-ils habilités à le faire ? Y a-t-il un vide juridique ?
M. N. : La sécurité civile est d’abord intervenue, mais ils n’ont pas de pouvoir dans ces cas-là. Ensuite, c’étaient des policiers municipaux. Mais comme ils n’ont pas l’habitude de devoir réagir à propos de cette loi qui nous concerne, ils ne pouvaient pas mettre d’amende immédiatement. Ils pouvaient simplement faire un procès-verbal et il fallait que je dépose plainte pour que cela déclenche une enquête. Sauf que la loi dit clairement qu’on a le droit d’entrer dans ces établissements et elle passe au-dessus de l’accord d’entreprise qui évoque un problème d’hygiène. Car les commerçant parlent eux d’un accord d’entreprise. Mais la loi de 1940 stipule que les chiens guides doivent être acceptés et, depuis 2016, elle a été officiellement modifiée pour inclure les chiens d’assistance.
H. C. : La plainte a-t-elle donné quelque chose jusqu’à présent ?
M. N. : Je n’ai pas de nouvelles. On m’a dit que ça allait être très, très long. Des associations se seraient portées partie civile. Ce que je veux, c’est que ces commerçants paient une amende afin de faire jurisprudence. Je ne veux aucun dommage et intérêt ou quoi que ce soit. Après, c’est un peu de notre faute aussi, on ne fait jamais les démarches. Mais en même temps on ne va pas porter plainte à chaque fois : il faudrait le faire tous les jours sinon !
H. C. : On vous refuse souvent l’entrée dans un établissement ?
M. N. : Même dans les parcs ! A Paris, un décret indique que les chiens guides et d’assistance ont le droit d’être lâchés dans les parcs. C’est un décret. Pourtant, lorsqu’on le fait avec mes amies Manon et Solène, et leurs chiens Lexie et Mila, on se fait systématiquement gueuler dessus. Mais systématiquement. Pareil au Jardin des Plantes, mais le Jardin des Plantes ne fait pas partie des parcs de Paris, il est rattaché au Ministère de l’Enseignement Supérieur. Dans ces jardins-là, on n’a pas le droit de lâcher nos chiens. Alors ils ne veulent pas qu’on entre.
H. C. : Les réactions sont tout de même généralement moins brutales qu’à Castres.
M. N. : Ça dépend. Je me souviens, quand je venais d’avoir mon chien, à cette époque-là j’étais encore debout. Et un jour, dans un parc, un vigile m’a carrément touchée. Il m’a touchée ! J’ai pété un câble, j’ai hurlé, des gens sont arrivés. On a dû changer de parc. Apparemment, à Paris, ça se produit plus souvent qu’ailleurs. Mais vous savez, rien qu’en entrant dans un supermarché, on nous demande ce que le chien fait là. C’est systématique. Et quand je leur réponds que la loi me le permet, j’ai quand même des vigiles qui me suivent tout le temps quand je fais mes courses. Vous imaginez, vous, faire vos courses avec quelqu’un qui vous suit partout ? Une fois, dans un magasin aussi, on m’a demandé de mettre une muselière à Lol. J’ai explosé de rire. Et je sais que c’est pareil pour beaucoup d’autres bénéficiaires. Lubin, par exemple. C’est un petit garçon et sa chienne Evea n’a jamais pu l’accompagner ni à l’école, ni au collège. Cela fait six ans ! Même chose pour Capucine et Many, qui ne peut même pas entrer dans son école.
H. C. : Vous en parlez entre bénéficiaires. Ca devient une routine ?
M. N. : Oui, on en parle. Des fois, ça nous énerve. D’autres fois, ça nous blesse. Une fois, avec mon amie Manon, on a voulu prendre le bus et on nous a dit : « deux fauteuils et deux chiens, c’est hors de question ». On a halluciné. On a fini par monter dans le bus, mais on doit se battre pour exister. On dérange. On a parfois le sentiment qu’on voudrait nous enfermer dans une maison pour qu’on n’en sorte jamais. Heureusement, il y a quand même des gens compréhensifs et de bonne volonté. A Paris par exemple, rue Mouffetard, il existe un petit café dans lequel on aime se réunir à trois ou quatre avec nos fauteuils et nos chiens. Avec une gérante adorable qui donne des gamelles aux chiens. Donc il y a des endroits où ça se passe vraiment bien, mais on ressent toujours de l’angoisse. A chaque fois que je vais dans un lieu que je ne connais pas, j’ai une boule au ventre et je me demande comment le chien va être accepté. A chaque fois. C’est comme si vous, à chaque fois que vous entriez dans un magasin que vous ne connaissez pas, vous aviez peur qu’on vous refuse l’entrée car vous avez un t-shirt orange. C’est le même genre de trucs. J’ai l’impression, quand on me demande de laisser mon chien, qu’on me demande d’enlever mon t-shirt. Ce serait la même chose pour quelqu’un de valide. Mais je ne suis pas du genre à me laisser faire…
H. C. : Alors que les plus jeunes bénéficiaires, malheureusement, ne peuvent pas toujours se défendre comme vous l’avez fait.
M. N. : Personnellement, je ne lâche jamais. A Castres, mon neveu m’a dit : « plein de gens seraient partis mais toi tu es restée ». Mais tout le monde n’a pas la même « énergie militante ». Moi, j’ai besoin de ça pour pouvoir vivre. Il y a des bénéficiaires qui font autrement mais on ne devrait pas avoir à se poser la question de savoir comment on fait, comment on réagit.
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