« L’attachement à un animal apporte quelque chose que les humains ne peuvent apporter »

©Resilienfance
Sandie Bélair est psychologue clinicienne de formation, psychothérapeute et praticienne en médiation animale. Elle intervient auprès d’enfants victimes de traumatismes. Jusqu’à l’été dernier, elle formait un binôme avec Dubaï, chien d’accompagnement social éduqué et remis en 2010 par HANDI’CHIENS. Marquée par cette expérience, elle en a rédigé un mémoire. Elle nous explique sa démarche et les avantages de travailler avec un chien.

HANDI’CHIENS : Vous avez rédigé un mémoire sur la médiation animale auprès d’enfants victimes de traumatisme. Pouvez-vous nous en expliquer les contours ?

Sandie BELAIR : En premier lieu, j’y évoque le travail de Boris Cyrulnik, qui a développé le concept de niche affective et sensorielle. Cette dernière se construit dans les interactions précoces à partir des soins ordinaires mais vitaux du quotidien et notamment à partir de la façon dont les donneurs de soins vont répondre aux besoins et sollicitations du bébé. C’est au cœur de cette enveloppe que se constituent la sécurité interne, affective, l’attachement et probablement la résilience.

HC : Comment se construit le lien d’attachement ?

SB : Il se construit à partir d’une « passerelle sensorielle » : odeur, chaleur, regard, vocalité des mots… Un   dialogue s’opère entre les deux partenaires, ils s’ajustent dans un partage d’émotions ; le corps est le support des échanges et le toucher est au premier plan de cette rencontre. C’est une boucle interactive : il y a une répétition de multiples interactions avec une rythmicité singulière. L’enfant s’appuie sur les liens d’affection et des relations chaleureuses et sécurisantes. Un attachement sécure va notamment pousser l’enfant à explorer le monde en partant à sa découverte. La figure d’attachement est un port d’attache et une base de sécurité mais l’attachement n’est pas, pour autant, synonyme de dépendance.

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HC : Le concept de Boris Cyrulnik a eu beaucoup d’influence sur vos travaux…
SB : Il était important pour moi de développer cette idée-là pour ensuite expliquer comment, dans mon travail, le chien allait pouvoir renforcer ce que je nomme « une niche thérapeutique ». La médiation animale est une médiation corporelle, sensorielle et relationnelle. Sans se substituer aux figures d’attachement primaires, l’animal peut remplir les fonctions de base et de havre de sécurité pour des enfants en mal-être. Et ce d’autant plus si cette rencontre est orchestrée et accompagnée par un professionnel (tuteur de résilience explicite) qui mettra en place des conditions favorables à des interactions dites accordées au sein desquelles le partage émotionnel et le récit de vécu douloureux seront possibles. J’ai voulu mettre en perspective la pertinence d’un binôme psychologue-chien pour accueillir la parole d’un enfant, favoriser la mentalisation, l’élaboration d’un trauma et permettre d’accompagner un processus résilient.

HC : Un événement particulier vous a-t-il convaincu de commencer la rédaction de ce mémoire ? Ou est-ce un désir qui s’est formé au fil des ans et de votre expérience ?
SB : J’ai toujours été persuadée, comme Boris Cyrulnik, que l’attachement à l’animal apporte quelque chose que les humains ne peuvent pas apporter. Cette intuition personnelle a été appuyée par mes recherches universitaires, mon expérience de psychologue et par ce que j’ai vécu dans les rencontres thérapeutiques avec les enfants. J’ai créé mon association en 2005 et je l’ai appelée, comme une évidence, Résilienfance. Puis très vite, à partir de 2007, j’ai travaillé en binôme avec des professionnels du chien. C’était très intéressant et formateur mais, n’étant pas référente du chien, je ne pouvais pas proposer les mises en interaction enfant-animal telles que je les aurais souhaitées. Je ne « guidais » pas la rencontre.

HC : C’est pourquoi, en 2010, vous accueillez Dubaï, chien d’accompagnement social éduqué par HANDI’CHIENS…
SB : Oui, cela m’a permis d’être plus autonome mais surtout de créer du lien et de la complicité avec le chien qui allait m’accompagner sur les séances. Je me suis rendue compte à quel point c’était important dans la démarche thérapeutique que je proposais à mes patients. Début 2018, l’Institut Petite Enfance Boris Cyrulnik proposait une formation d’un an et au cours de celle-ci, avant l’été, à un mois de sa retraite, Dubaï a été gravement malade. J’y ai vu le signe qu’il fallait, d’autant plus, laisser une trace de cette expérience. Ce mémoire n’est pas une recherche scientifique mais plutôt une réflexion sur ma pratique et sur l’intérêt d’un binôme psychologue-chien.

« Il faut que le chien prenne du plaisir également »

HC : Lorsque vous recevez un enfant pour la première fois, comment procédez-vous ?
SB : Au préalable, j’indique toujours qu’il y a un « toutou » dans mon bureau (certains viennent d’ailleurs pour cela). Les parents ou les accompagnateurs sont parfois surpris mais adhérent tout de suite à l’idée. Sa présence dédramatise la rencontre. On ne se centre pas sur les difficultés de l’enfant. L’approche de l’enfant vers l’animal et celle de l’animal vers l’enfant me donnent dès le début beaucoup d’informations sans avoir posé trop de questions. Je n’impose pas la présence de Dubaï mais je n’ai jamais eu d’enfant qui l’a refusée. Dès la première séance donc, Dubaï est dans le bureau et je n’empêche pas les interactions spontanées entre lui et l’enfant. Je laisse les choses se faire naturellement, chaque rencontre est singulière, mais je veille bien sûr au bien-être et à la sécurité de l’un et de l’autre.

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HC : Concernant les activités avec le chien, appliquez-vous toujours la même formule ou procédez- vous au cas par cas ?

SB : Il y a un panel d’activités que je suggère aux enfants au fil du temps. Mais ils « créent » surtout leur rencontre avec le chien. Ils ont leurs préférences avec Dubaï mais parfois on s’adapte aussi à l’humeur du chien. Il y a des jours où Dubaï n’a pas envie, comme eux, et dans ce cas on fait autre chose. Il faut que le chien prenne du plaisir également. Sur les dernières années, Dubaï était vieillissant donc je ne voulais aucune contrainte ni pour l’enfant ni pour lui. Je voulais que tout soit fait dans le plaisir et l’envie. La rencontre doit être au bénéfice des deux.

 HC : C’est là où le binôme psychologue-chien prend toute son importance…

SB : Voilà. Le but n’est pas de « juste jouer avec le chien ». L’idée, c’est de créer un espace thérapeutique. D’où l’importance d’avoir un professionnel qualifié qui peut rebondir, suggérer mais sans imposer : laisser la place au désir de l’enfant dans un cadre sécurisant et contenant. Le psychologue va installer des conditions favorables à des interactions dites accordées où l’enfant a le sentiment que l’animal écoute et adhère à ce qu’il dit, fait et pense. Plus qu’entendu, l’enfant doit se sentir attendu. Il faut laisser le plus de liberté possible à l’animal dans ces rencontres. J’exerce la médiation animale avec ma grille de lecture de psychologue.

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HC : Avez-vous eu des cas où Dubaï ne pouvait être avec vous ?
SB : Il est arrivé que Dubaï soit malade mais il était important de maintenir les séances. D’un côté, il y a l’idée que Dubaï a le droit d’être absent, malade, et de l’autre, il reste très présent dans la rencontre même absent. Je suis sincère avec les enfants et je leur explique toujours la raison de la non présence de Dubaï, ils sont rassurés, souvent touchés, attentifs et font des parallèles avec leur histoire. Le lien est toujours fort, il perdure ; des jeux et des dessins se créent sans lui mais il reste au cœur de leurs pensées et récits. Il y a moins de câlins et de démonstrations affectives, mais il est toujours avec nous. Le lien est « suffisamment bon » et sécure pour que l’angoisse de perdre l’autre ne soit pas réactivée ou ne vienne pas envahir le psychisme de l’enfant.

HC : Avec votre expérience, pouvez-vous nous expliquer les principaux avantages de travailler avec un chien ?
SB : J’insiste sur la notion de binôme psychologue-chien dans le cadre d’un dispositif de médiation thérapeutique. Le chien par sa façon d’être, sa sensibilité, sa capacité de percevoir les signaux humains et de s’ajuster à eux, peut être considéré comme un être d’accordage (l’enfant se sent entendu, compris et attendu par l’animal), il facilite la création du lien et la construction, comme je la nomme, d’une « niche thérapeutique », havre de sécurité où des expériences transitionnelles peuvent se jouer. L’attachement et le partage émotionnel sont au cœur de ces rencontres que l’on peut qualifier « d’empathiques ». Pour un enfant victime de diverses adversités, de négligences, de ruptures, le développement et le maintien de la relation thérapeutique est difficile. S’engager dans une nouvelle relation est un risque. Les deuils non résolus des relations précédentes, cassées, en raison de divers évènements entravent la mise en place du lien dans l’espace thérapeutique. Le chien est un « îlot de constance » ; par son comportement spontané, non jugeant, sans attente démesurée, il offre une relation « vivante » et affective à des enfants mortifiés et envahis par l’angoisse et la dépression, qui se sentent menacés par leurs pairs ou les autres adultes. L’activité de mentalisation accompagnée par un professionnel qualifié au sein du dispositif médiation animale va notamment permettre au petit patient d’élaborer et de transformer un traumatisme.

Sandie Bélair organisera le 19 juin 2020, avec l’appui de l’Institut Petite Enfance Boris Cyrulnik un colloque sur la relation enfant-animal. Ce colloque sera présidé par Mr Cyrulnik en personne et parlera lien, attachement, résilience et médiation animale. Pour en savoir plus cliquez ici

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