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Lol, le chien qui humanise la justice pénale
Depuis mars 2019, le jeune labrador noir Lol soutient régulièrement des victimes d’infractions pénales sur leur lieu d’audition dans le département du Lot. Il a été le premier des quatre chiens d’assistance judiciaire HANDI’CHIENS et vit avec les pompiers de la caserne de Cahors. Du côté des hommes de loi comme des bénéficiaires ou encore de l’association France Victimes 46, tout le monde est séduit par Lol.
Lol est l’un des quatre chiens d’assistance judiciaire actuellement déployés en France. Ce jeune labrador noir, au caractère calme et discret, a même été le premier, et cela fait maintenant deux ans qu’il intervient sur différents lieux d’auditions dans le Lot, dans la région Occitanie. Son rôle : soutenir et rassurer les victimes, essentiellement mineures, lorsqu’elles se confient au commissariat, à la gendarmerie ou au tribunal. « Un lien de confiance avec l’enquêteur se crée par l’intermédiaire de Lol, c’est certain, surtout chez les plus jeunes enfants, constate Alexia Mesthé, présidente de l’association France Victimes 46. Lol met vraiment en confiance. Avec lui, c’est plus chaleureux et plus rassurant. » Frédéric Almendros, procureur de la République du Lot, abonde : « On fait intervenir Lol car on estime que c’est un élément extrêmement important pour rassurer les personnes. Le procès pénal est déjà un traumatisme en soi, quel que soit le fond de l’affaire. Le chien est une aide psychologique vivante. »
C’est Frédéric Almendros qui est à l’origine du projet. L’idée a germé après une rencontre avec le Colonel Dominique Dalier du Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie de Gramat, dans le Lot. « Il m’a indiqué qu’aux Etats-Unis il existait déjà des chiens d’assistance pour des victimes. Je lui ai dit que c’était une excellente idée et qu’il fallait que nous mettions cela en place en France, se souvient le procureur de la République. Donc je suis rentré au Palais et j’ai rédigé un projet de convention. Il m’a ensuite fait rencontrer la procureur Ellen Stephens et la vétérinaire Celeste Walsen qui ont créé la Courthouse Dogs Foundation à Seattle en 2012. »
En avril 2018, ces dernières viennent en France leur présenter leur fondation, le travail de leurs chiens (plus de 200 dans une trentaine d’états à l’époque et plus de 250 dans 35 états aujourd’hui), leurs résultats… Cinq mois plus tard, c’est au tour de Frédéric Almendros de prendre l’avion pour Seattle afin de participer à la conférence internationale de la Courthouse Dogs Foundation, accompagné de représentants de la gendarmerie et de HANDI’CHIENS. Le procureur de la République contacte également un des dispositifs d’aide aux victimes du département, l’association France Victimes 46, fondée en 1989 sous l’acronyme A.L.A.V.I. (Association Lotoise d’Aide aux Victimes) et adhérente dès le départ du réseau France Victimes.
« Ce sont des associations qui ont vocation à accueillir, écouter, informer juridiquement et orienter les personnes qui sont victimes d’infractions pénales, détaille Alexia Mesthé, juriste de profession et donc présidente de l’association lotoise. On reçoit toute personne qui s’estime victime quel que soit son âge et quel que soit ce qu’elle a subi. Et comme Frédéric Almendros est notre partenaire privilégié dans notre action d’aide aux victimes de manière générale, il nous a sollicités pour l’accompagner dans ce projet. »
Petite inquiétude néanmoins lorsque, fin 2018, le procureur de la République apprend par le biais du colonel Dominique Dalier que la gendarmerie a choisi de ne plus travailler sur de la médiation canine pour le moment, afin de pouvoir se concentrer sur d’autres activités, notamment la recherche d’explosifs. « Je me suis retrouvé au mois de janvier 2019 avec Lol qui était déjà prêt, puisque HANDI’CHIENS avait déjà anticipé et commencé à le former, mais sans hébergeur, confie Frédéric Almendros. C’est ma fille qui m’a dit ‘et si tu demandais aux pompiers ?’, c’était une super idée ! »
Il contacte alors le colonel de la caserne de Cahors, et les deux hommes se réunissent avec leurs deux autorités de tutelle (le préfet et le président du conseil départemental) afin de leur soumettre le projet. « Ils ont bien sûr été d’accord tout de suite », glisse le procureur de la République. C’est au mois de mars 2019 que le labrador noir prend ses quartiers chez les pompiers, sous l’œil du commandant Michaël Sabot. Pour celui-ci, la règle est simple : « La caserne, c’est la maison de Lol. Et les pompiers qui sont dans la caserne s’occupent de Lol tous les jours. L’idée a été de dire cela dès le départ afin que les désagréments que peut provoquer un chien, comme, par exemple, la perte de poils ou ce genre de choses, ne puissent pas être identifiés à une ou plusieurs personnes en particulier. »
Il serait tentant de présenter Lol comme la mascotte de la caserne, mais le commandant Michaël Sabot tempère : « ce n’est pas son rôle d’être une mascotte. C’est le chien de la caserne, il fait partie intégrante des effectifs si vous voulez ». Les pompiers de Cahors ont adapté leur organisation afin que Lol ne manque de rien et qu’il travaille au quotidien les commandes qu’il a appris. Sept référents ont été nommés afin qu’il y en ait toujours un de permanence. C’est lui qui accompagne Lol sur son lieu d’intervention et le ramène à la caserne après.
La grande première de Lol en tant que chien d’assistance judiciaire a eu lieu quelques jours après son arrivée à la caserne. Frédéric Almendros y a assisté et s’en souvient encore très bien. « Je ne suis pas du genre émotif mais j’avais quand même la gorge nouée… », avoue-t-il. Alexia Mesthé était là aussi : « c’était pour une toute petite de 6 ans je crois. Elle n’a pas arrêté de le caresser et de lui faire de vrais câlins. Je crois même qu’à un moment elle s’est couchée sur le chien. » « A deux reprises, le gendarme est sorti de la salle afin de prendre une petite pause et la petite s’est carrément couchée sur le chien », confirme Frédéric Almendros. Depuis, Lol est intervenu à près de 70 reprises auprès d’environ 55 bénéficiaires différents.
Solliciter l’aide de Lol est devenu un réflexe pour beaucoup : gendarmes, France Victimes 46, parfois même les avocats… Surtout chez les enquêteurs Mélanie, ces officiers de police judiciaires habilités pour effectuer des auditions de mineurs victimes. Lol est très efficace pour rassurer les plus jeunes, mais son panel est très large. « Il est intervenu pour des personnes âgées de 3 à 90 ans », souligne Frédéric Almendros tout en relatant l’histoire de deux couples de personnes âgées ayant été agressés à leur domicile par des voleurs : « On parle quand même de gens cagoulés avec des armes qui s’immiscent chez vous, entre chien et loup, donc on a affaire à des victimes extrêmement traumatisées. A tel point que pour l’un de ces couples, le juge d’instruction a dû faire l’interrogatoire chez eux, sur les lieux des faits, et il y a été avec Lol. Ils nous ont ensuite envoyé un mot nous disant qu’heureusement que Lol était là car cela aurait été beaucoup plus compliqué pour eux sinon. »
Comment décrire précisément ce qu’il se passe quand Lol s’installe à côté d’une victime ? « C’est assez impressionnant à voir dans le sens où on a vraiment l’impression qu’il ‘absorbe’, expose le commandant Michaël Sabot de la caserne. Il est très calme et peut rester des heures auprès du bénéficiaire sans bouger. Après cela, il est très fatigué et il est rempli de pellicules. C’est vraiment là qu’on se rend compte, comment dire… qu’il absorbe les émotions, le mal-être de ces personnes. »
Le rythme des interventions et leurs effets sur Lol font naturellement l’objet d’une observation attentive et assidue par tous. « Ma première volonté, c’était de m’assurer que le chien ne souffre pas, souligne Frédéric Almendros. Au départ on avait prudemment sérié un certain nombre d’infractions mais on s’est rapidement rendu compte que Lol pouvait intervenir de manière très fréquente. Car ce dont j’avais peur, c’était que le chien soit noyé émotionnellement et qu’il en subisse une souffrance, parce que dans ce cas on aurait tout de suite arrêté le programme. Il fait des pellicules après chaque intervention mais c’est le seul ‘symptôme’ qui nous est apparu. »
Un symptôme qui s’estompe cependant peu après son retour à la caserne, où Lol amuse régulièrement les pompiers en « chapardant » (dixit le commandant Michaël Sabot) les chaussettes ou encore les claquettes qui traînent trop longtemps au sol. La vie en caserne comporte également son lot de moments durs, la profession de soldat du feu étant exigeante, difficile et parfois dramatique. Lol n’hésite pas à sortir du cadre de sa mission pour réconforter les pompiers marqués par un événement tragique. « Cela se fait naturellement, témoigne le commandant Michaël Sabot. On ne le met pas en position comme avec un bénéficiaire, ce n’est pas du tout pareil. Lol vient tout seul, de lui-même, et les gens vont le caresser. »
Alexia Mesthé se souvient d’une audience en cour d’assises où le chien d’assistance judiciaire a démontré ce même sens de l’initiative : « Lol était présent pour la victime mineure. Il y a eu une suspension d’audience et il est allé de lui-même voir le père de cette enfant car il était super mal, super stressé. » Lors d’une autre intervention, une petite fille qui avait rendez-vous pour une expertise psychologique est venue accompagnée de sa mère. « Dès qu’elle a vu Lol, la mère l’a stimulé, l’a appelé, mais Lol s’est directement dirigé vers la jeune victime, raconte la présidente de France Victimes 46. Cette jeune fille est arrivée, toute timide, et ne parlait pas, alors que si sa maman avait eu des croquettes dans la main cela aurait été pareil ! Mais Lol n’en avait que faire, il est allé vers cette petite. »
Alexia Mesthé est aujourd’hui une fervente admiratrice des capacités et aptitudes du labrador noir. « Je n’avais pas forcément d’attrait particulier pour les chiens mais après avoir vu ce chien-là, et notamment au travail, eh bien force est de constater qu’il se passe vraiment quelque chose », avoue-t-elle, précisant que c’est la formation dispensée par HANDI’CHIENS qu’elle a suivie préalablement à l’arrivée de Lol qui l’a tout de suite convaincue. Ainsi que sa première rencontre avec Florian Auffret, chargé de mission recherche et développement HANDI’CHIENS.
Pour chacun des quatre chiens d’assistance judiciaires français -basés à Nevers (Nièvre), Strasbourg (Bas-Rhin), Orléans (Loiret) et donc Cahors (Lot)- notre association planifie régulièrement des formations afin d’épauler les différentes parties impliquées dans ces quatre aventures. « Ces formations sont hyper importantes pour recadrer un peu l’exigence que l’on peut avoir sur un chien de travail, souligne Alexia Mesthé. Florian Auffret est venu nous voir récemment et c’est vrai qu’on le ressent bien. »
Frédéric Almendros insiste de son côté sur le fait que le chien n’est pas un élément de preuve. « Il est là pour aider les gens à passer le procès pénal le moins mal possible ». Indéniablement convaincu lui aussi par l’expérience Lol, le procureur de la République aimerait voir plus de chiens d’assistance judiciaire en France. « Personnellement, c’est mon rêve, assure-t-il. Je sais que ça fonctionne. On l’a prouvé, les Américains l’avaient prouvé avant nous et c’est pour cela qu’il y a 250 ‘courthouse facility dogs’ aux Etats-Unis. »
Plusieurs tribunaux ont d’ailleurs déjà fait part de leur intérêt pour ces chiens, comme ceux de Nîmes (Gard), Draguignan (Var), Arras (Pas-de-Calais), Tarbes (Hautes-Pyrénées) ou encore Montauban (Tarn-et-Garonne). Les procureurs comme Frédéric Almendros devront fédérer, mais le projet devra globalement être soutenu par les juridictions elles-mêmes. « L’intérêt du programme, c’est que le chien suive le bénéficiaire tout au long de la chaîne pénale, c’est-à-dire jusqu’à l’audience et y compris jusqu’à l’éventuelle audience d’appel, explique le procureur de la République du Lot. C’est Monsieur Jean-Luc Vuillemenot qui m’avait dit, et j’ai trouvé ça très pertinent : ‘le chien humanise la justice pénale’. Et je crois que tout ce qui peut humaniser la justice et la rendre la moins douloureuse possible doit être appliqué. »
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