« On nous dit qu’Obelle et Omega sont le moment de douceur dans la douleur »

Cela fait maintenant plus d’un an qu’Obelle et Omega écument les couloirs et chambres de l’hôpital de Doullens (Somme). D’abord dédiés aux services de soins palliatifs et d’oncologie, les deux chiens d’assistance ont convaincu l’ensemble des patients comme du corps médical pour finalement étendre leur champ d’action sous la coupe de leurs référentes : le Docteur Adeline Vignon, psychologue (pour le mâle Omega) et le Docteur Laurie Creton, médecin en soins palliatifs (pour la femelle Obelle). Cette dernière nous raconte le quotidien de cette équipe de choc et souligne la complémentarité des deux golden retrievers.

© Emma Fréry

HANDI’CHIENS : Quelle organisation avez-vous adoptée avec votre collègue Adeline Vignon et les deux chiens Obelle et Omega ?
Dr Laurie CRETON : Cela change un peu tout le temps car les deux chiens n’ont pas du tout le même tempérament. Ils n’apportent pas la même chose. Obelle est très efficace auprès des patients perturbés ou en fin de vie, donc auprès des patients qui ont plutôt besoin d’un animal posé, câlin, doux. Omega, lui, apporte la vie, du pep’s. Ce n’est pas le même contact, donc ils ne créent pas le même lien avec les patients. Certains peuvent toutefois bénéficier des deux chiens en même temps, on le fait régulièrement. Comme Adeline et moi sommes toutes les deux formées, on peut très bien travailler avec les deux chiens. On s’adapte vraiment aux patients et à la demande… Car oui, maintenant ce sont les patients qui demandent ! Au départ, les chiens devaient être « réservés » aux patients en soins palliatifs et en oncologie, mais les autres patients ne comprenaient pas pourquoi certaines personnes pouvaient bénéficier du passage du chien et pas d’autres. On nous a même déjà demandé s’il existait des forfaits à payer pour que le chien passe ! On a donc élargi la cible, car il est vrai que les deux chiens apportent tellement que bon… On s’adapte aux besoins.

H. C. : Et au niveau du planning ?
L. C. : Les chiens sont avec nous 24h/24, ils ont le même planning que nous. Généralement je ne travaille pas le mercredi donc Obelle non plus, tandis qu’Adeline est à temps plein donc Omega est là tous les jours. On arrive le matin, on les brosse, ils vont dire bonjour à tout le personnel soignant, et puis on fait le point en fonction des besoins et des patients qui ne sont pas forcément là tous les jours. On décide de quel chien on emmène, ou bien si on prend les deux, ou alors aucun si les patients sont dans un état trop compliqué… C’est vrai qu’avec Adeline on a complètement réorganisé notre manière de travailler. On suit beaucoup plus de protocoles.

« Ils se renforcent l’un et l’autre »

H. C. : Notez-vous des différences de comportement entre Obelle et Omega auprès des patients ?
L. C. : Obelle est beaucoup plus « éponge » tandis que pour Omega ça va être dur sur le moment, mais une fois qu’on le sort, il court et c’est fini. Alors qu’Obelle, elle encaisse, elle encaisse… On sent d’une certaine manière qu’elle accumule davantage le stress. D’ailleurs le fait qu’Omega soit présent est vraiment quelque chose de positif pour elle. Cela lui permet de mieux « décharger » derrière. On fait toujours les balades ensemble avec Adeline. Après le boulot comme les week-ends. Donc nous sommes plus que des collègues en ce sens. Car c’est vrai qu’Omega permet à Obelle de s’aérer l’esprit de manière beaucoup plus efficace que si nous étions toutes les deux toutes seules. Je me souviens d’une patiente relativement jeune, 60 ans, que les chiens ont connu durant trois mois. Je me souviens bien du moment où elle n’allait plus bien du tout : Adeline était en vacances donc il n’y avait pas Omega. Obelle a fait son job, elle est montée sur le lit avec la dame qui avait vraiment mal et qui avait réclamé sa présence. Et quand Obelle est ressortie de la chambre, j’avais l’impression de lui avoir mis un parpaing sur le dos… Physiquement, ça se voyait. Cela ne faisait que trois mois qu’on était là, j’étais un peu paniquée donc j’ai appelé Adeline en lui disant : « où es-tu ? J’arrive ! Je t’amène Obelle pour qu’elle voit Omega. »

© Emma Fréry

H. C. : Adeline peut-elle connaître ce genre de problème aussi le mercredi ?
L. C. : Chez Omega cela se ressent moins. C’est vraiment le mâle foufou, toujours joyeux, il rebondit tout le temps et évacue beaucoup plus vite. Adeline me disait cependant qu’il pouvait avoir un peu plus de mal avec les patients un peu plus touchés au niveau psychiatrique, avec des troubles de la personnalité : elle le perçoit beaucoup moins à l’aise. Après, je l’ai déjà pris avec moi chez des personnes ayant des troubles cognitifs, ça s’est très bien passé. Disons qu’Omega, c’est l’instant T alors qu’Obelle peut vraiment accumuler.

H. C. : Comment réagissent-ils quand un de leurs « patients habitués » décède ?
L. C. : On ne les fait pas assister au décès, mais la fameuse dame dont je vous ai parlée, quand on savait que c’était la fin et que sa famille est venue lui dire au-revoir, elle a réclamé un temps seule avec les chiens. Un par un puis avec les deux en même temps. On voyait bien qu’ils sentaient qu’émotionnellement, c’était lourd. Après cela, ils n’ont pas travaillé du reste de la journée. C’était beaucoup pour eux et le but ce n’est pas de les faire se sentir mal. Quand il y a une prise en charge comme celle-là, ou un soin qui va durer longtemps, ensuite c’est terminé pour eux et ils rejoignent leur bureau aménagé à l’hôpital et n’en ressortent que pour les pauses, pour courir. Ils restent au calme et se reposent. Après, le gros avantage c’est qu’ils sont deux et se renforcent l’un et l’autre.

« Obelle et Omega font partie de l’équipe soignante »

H. C. : Quel retour vous font les patients ?
L. C. : Clairement les gens nous disent qu’ils ne viennent plus pour faire leur traitement mais pour voir les chiens, donc c’est positif. Ils nous disent : « on est content de venir » alors qu’avant cela pouvait être un calvaire pas possible. Certains patients viennent chaque semaine avec des friandises ou des carottes pour les chiens. D’autres nous envoient des cartes toutes les semaines. Une dame m’a dit un jour que les chiens étaient « le moment de douceur dans la douleur ». C’est vraiment ça. On laisse beaucoup de spontanéité aux chiens, d’autant qu’ils ont deux personnalités à part entière. Donc il y a vraiment un relationnel qui se créé, très spontané entre le chien et le patient. Obelle peut par exemple entrer dans trois chambres d’affilée et avoir trois comportements différents, en fonction des patients.

H. C. : Et quel est le retour du reste des équipes médicales ?
L. C. : Eh bien le retour… c’est qu’on ne pourra plus nous les enlever !

H. C. : Y avaient-ils des sceptiques qui ont fini par être convaincus au fil du temps ?
L. C. : Déjà il faut dire qu’on a quand même eu la chance d’avoir une direction fortement impliquée dès le départ. Ils ont trouvé le projet top et ont adhéré tout de suite. A la limite, le plus difficile a été de s’organiser au niveau de l’hygiène. Mais on a rédigé beaucoup de protocoles pour que tout soit bien cadré. Donc je dirais qu’il n’y avait pas de méfiance, mais que beaucoup attendaient de voir comment cela allait se passer et se sont finalement rendu compte qu’il n’y a aucun souci. Les chiens font maintenant partie des meubles. Ou plutôt ils font partie de l’équipe soignante. Oui, ils font partie de l’équipe.

© Emma Fréry

H. C. : Ils ont fait l’unanimité…
L. C. : C’est ça. Obelle est très spontanée et s’adapte très bien aux comportements des gens en face d’elle. Avec Omega, ils savent très bien créer un lien avec les gens. Certains patients nous envoient même promener quand on essaie de canaliser un peu les chiens, lorsque parfois ils sont très enthousiastes. On nous dit : « laissez-nous tranquille » ou « mais laissez-le faire, il me fait un câlin » ! Et comme c’est spontané, les gens adorent. Cela crée un lien un peu familial, les patients se sentent chez eux.

Je me lance !