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Une « bouée de sauvetage » nommée Limber.
La vie avec un trouble du spectre de l’autisme est chaque jour une épreuve. Pour l’épauler, Ophélie a accueilli en 2017 un chien d’assistance : Limber. A sa manière, ce labrador femelle à la robe noire apporte un soutien précieux à sa bénéficiaire que ce soit à la maison, au travail ou dans les tant redoutés transports en commun.
Le 2 avril est depuis 2008 la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Un handicap encore mal compris et pourtant très répandu puisque l’Inserm (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) estime à environ 700.000 le nombre de personnes concernées par un trouble du spectre de l’autisme (TSA) en France. Ophélie est chercheuse pour le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et depuis la fin 2017, le jeune labrador noir Limber aide cette habitante de Croix (Nord) à surmonter ce handicap. Et quand on lui demande de parler de sa profession, Ophélie est « assez mal à l’aise ». Toujours cette fâcheuse impression d’alimenter « le cliché de l’autiste surdoué »… « Je suis physicienne, chercheuse en nanotechnologies, détaille-t-elle. En ce moment, j’étudie l’effet de la lumière sur des ensembles de toutes petites particules d’or. J’essaie de comprendre comment les particules interagissent entre elles et avec le support sur lequel elles sont déposées. »
Vous avez encore un peu de mal à comprendre les difficultés « invisibles » que rencontre une personne présentant un TSA ? La description de ce qu’Ophélie ressent lorsqu’on lui demande de « parler d’elle » va vous permettre d’y voir plus clair. « Cette question est tellement vague qu’elle n’a rien de simple pour moi. En face-à-face, je me serais figée, avoue-t-elle. Typiquement, j’ai d’abord la sensation de faire une très longue chute comme dans un rêve. Puis mon cerveau fait la liste de toutes les choses : que je fais, que j’aimerais faire, que je ne peux pas faire. Ensuite, je me demande ce que la personne en face de moi attend comme information et je suis perdue, mon niveau de stress augmente. Jusqu’à un niveau de panique si rien ne me débloque. »
Ophélie rencontre des difficultés quotidiennement au travail, notamment lors des interactions sociales avec ses collègues. « Quand je bloque sur un sujet, je suis très seule. Je ne communique avec quasiment personne et je n’arrive pas à trouver les mots pour expliquer ce qui me bloque, regrette-t-elle. Les réunions d’équipes sont un vrai calvaire. » Limber s’est installée chez elle en novembre 2017 après le stage avec HANDI’CHIENS dont les conditions mais aussi la durée et le nombre de bénéficiaires avaient été adaptés pour les personnes atteintes d’un TSA. Une semaine au lieu de 15 jours et seulement trois bénéficiaires, ce qui n’a pas empêché Ophélie de faire une crise pendant ce stage, lequel s’est conclu par une intense émotion lorsqu’elle a rencontré la famille d’accueil de Limber.
Au départ, c’est un autre chien, Lemon, qui avait retenu son attention. Mais au moment de « s’entretenir » individuellement avec chaque chien, il s’est passé quelque chose avec Limber. « Avec Lemon, je n’arrivais pas à bien me sentir à l’aise. Quand le tour de Limber est arrivé, elle était toute joyeuse, se souvient-elle. Je n’ai pas eu à réfléchir à la façon d’entrer en contact avec elle, c’est elle qui est venue vers moi. Elle m’a détendue et m’a fait sourire en jouant et sautant dans tous les sens. Sa robe noire et sa petite bouille de chiot me rassuraient. »
Amusant de repenser à cette anecdote sachant que Limber a usé du même ressort il y a à peine quelques semaines pour rassurer Ophélie dans une bibliothèque. « Limber m’observait avec beaucoup d’attention, un peu comme quand elle détecte mes signes d’anxiété. » Puis quand Ophélie s’est retrouvée en position délicate, Limber l’a observée et a senti le stress envahir la chercheuse en nanotechnologies.
« Je lui ai demandé de venir. Elle continuait à m’observer, elle a réfléchi puis elle s’est mise à courir autour d’une grande table. Je lui ai dit ‘Limber ! Non ! On travaille’, elle s’est arrêtée, a pris un air sérieux, m’a observée et a recommencé. Elle avait sa bouille trop mignonne de chiot gentiment polisson. » Un égarement de la part de Limber ? Ne la sous-estimez pas ! « Elle a détendu l’ambiance et m’a montré que tout allait bien. Elle n’a pas couru longtemps, dès que je me suis sentie apaisée elle s’est arrêtée et est venue normalement vers moi. Au final, elle n’a pas désobéi, ou plutôt elle a désobéi intelligemment, constate-t-elle. En l’espace de quelques secondes, Limber m’a fait comprendre qu’elle gérait la situation et c’était ce dont j’avais besoin. Même si ce n’était pas très ‘protocolaire’… »
Au travail, c’est « tranquillement installée dans son petit coin » que Limber tient compagnie à sa bénéficiaire. « Elle a un tapis, un coussin et un jouet distributeur de friandises. Si j’ai du mal à me concentrer ou si je stresse, je peux aller lui faire quelques caresses. Elle est toujours ravie et ça me fait beaucoup de bien, souligne-t-elle. Elle m’aide à réguler mes émotions. Parfois, je jette un petit coup d’œil dans sa direction et je la vois sur le dos les quatre pattes en l’air. Je me dis que je n’ai pas de raison d’être stressée vu qu’elle a l’air de se sentir super bien et en sécurité. » Et quand survient une situation difficile à gérer, Limber se manifeste et Ophélie se rappelle soudain qu’elle a des bouchons d’oreilles et son gilet compressif à disposition, ou des exercices de respiration auxquels procéder.
Lorsqu’il est l’heure de faire une pause, le labrador noir aide Ophélie à faire attention à son niveau d’énergie. Ce qui, expose-t-elle, a contribué à diminuer la fréquence de ses crises. Autre impact très positif de la rencontre avec Limber : « elle est arrivée juste à temps pour m’éviter de perdre mon emploi. Je voulais démissionner car mes niveaux de fatigue et de souffrance étaient devenus ingérables, révèle Ophélie. C’était juste ‘trop’ et il fallait que je me décharge de quelque chose pour survivre. Limber est arrivée comme une bouée de sauvetage. »
Et de développer : « travailler me demande beaucoup d’efforts, mais je ne veux plus démissionner parce que j’ai récupéré des forces. Limber me rassure. Elle ne me dispute pas quand je fais des crises, elle ne panique pas. Elle remue la queue, me fait des câlins et est super joyeuse. Elle prend en charge certaines choses à ma place, du coup j’ai plus d’énergie. Elle me donne confiance en moi car j’arrive à m’occuper d’elle quasiment entièrement seule. Et elle a l’air heureux. En me prévenant quand je montre des signes de fatigue ou d’anxiété, elle m’apprend à respecter ma façon de fonctionner. »
Ophélie bénéficie également de l’aide d’une ergothérapeute. Elle est passée de l’épuisement à un équilibre qu’elle jauge « assez précaire », ce qui constitue tout de même, toujours selon Ophélie, une très bonne évolution. Surtout depuis que les deux femmes ont retravaillé les exercices de proprioception afin d’y incorporer la participation de Limber. « Tout a commencé avec un exercice qui consiste à faire rouler une balle un peu lourde sur mes cuisses ». Exercice qui se solde par des échecs répétés et qui conduit l’ergothérapeute à suggérer à Ophélie d’arrêter. Cette dernière veut retenter l’expérience encore quelques fois et s’apprête à se faire une raison, « mais un jour, Limber s’est couchée sur mes jambes pendant l’exercice et là, j’ai réussi à mieux sentir le déplacement de la balle. Du coup, on a travaillé avec l’ergothérapeute pour trouver un rôle à Limber dans chaque exercice. » Chaque jour, Ophélie et Limber pratiquent ces exercices avant de commencer le travail.
Toujours dans l’optique de veiller à augmenter graduellement les stimulations sensorielles pour éviter de se retrouver trop rapidement en surcharge. Les choses se corsent néanmoins à la pause déjeuner. « Je ne comprends pas pourquoi, mais c’est assez violent pour mon corps de passer d’une matinée de travail à la préparation du repas, constate Ophélie. J’ai du mal à me concentrer, je dois beaucoup réfléchir à mes mouvements. »
Après le repas, avant de retourner au CNRS, la physicienne trouve un petit moment pour se reposer. Toujours avec Limber, qui s’allonge sur Ophélie si cette dernière ressent le besoin de pressions profondes sur ses jambes. Quelques exercices de proprioceptions sont ensuite nécessaires pour « affronter le métro », seul moyen de transport qu’elle peut emprunter. « Je n’ai pas réussi à passer mon permis de conduire et je suis incapable de prendre le bus. Avant d’avoir Limber, il m’arrivait assez souvent de rester pétrifiée sur le quai et de laisser les métros passer. Je finissais par rentrer chez moi en pleurant. »
Grâce à Limber, Ophélie parvient à prendre « au pire » le quatrième métro. C’est avec la commande « en avant » que le chien d’assistance trouve comment entrer dans la rame. Ophélie se concentre sur Limber et suit ses mouvements mais le chemin de croix ne s’arrête pas là : « c’est très difficile de gérer les gens qui la caressent en m’ignorant complètement, souffle Ophélie. Je ne peux pas parler, je ne peux rien faire, comme si j’étais dépossédée de ma vie. Et souvent, je culpabilise, parce que j’aimerais bien pouvoir leur parler de HANDI’CHIENS comme certains bénéficiaires le font. Mais je n’y arrive pas et je sens qu’ils me trouvent bizarre ou froide. »
Ophélie a le droit de demander une place assise mais n’ose que trop rarement. C’est d’ailleurs parfois Limber qui prend l’initiative et insiste auprès de sa bénéficiaire jusqu’à ce qu’Ophélie surmonte sa gêne. Et si les mots ne sortent pas, elle s’appuie sur une carte ou une tablette avec une synthèse vocale qui lit des messages préenregistrés.
Une fois revenue au CNRS, et à la faveur d’une discussion qu’a eue son ergothérapeute avec les collègues d’Ophélie, celle-ci accroche quand elle en ressent le besoin un panneau à la porte de son bureau demandant à ne pas la déranger. « Car j’ai tout un protocole à suivre pour évacuer le stress dû au métro et essayer de me reconcentrer petit à petit sur le travail. Limber m’aide en se couchant sur mes jambes pour exercer des pressions profondes », explique Ophélie. Un aménagement qui lui permet de résister un peu mieux à la difficile épreuve que représente chaque nouvelle journée qui passe, et auquel elle recourt sans y réfléchir à deux fois.
« HANDI’CHIENS et Limber m’ont donné le courage de m’accorder le droit d’être différente et de chercher de l’aide pour apprendre à faire les choses de façon non conventionnelle si c’est plus confortable pour moi. »
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